mardi 9 septembre 2014

Le droit, c'est fun ! Mais si !

Attendu que MDR,
le tribunal décide que LOL
Si, si, je vous assure, le droit, c'est rigolo.
Enfin, ça peut l'être.

J'en parle en (légère) connaissance de cause puisque mes tribulations passées m'ont déjà amené à être confronté à la mécanique particulière du droit administratif, et quand on en apprécie les finesses, il y a certains moments de pure joie et d'anticipation.
J'étais, moi aussi, du mauvais côté du bâton. Si je dis "moi aussi", c'est parce qu'un petit phénomène intéressant se passe en ce moment avec les assignations en référé qui se multiplient contre les élus opposés à la réforme, et qui ont entamé des actions en ce sens.

Je dis intéressant car les derniers jugements rendus ont été favorables à notre lutte. Cool !

Commençons par la
commencitude

Mais reprenons au début.


En France, les tribunaux évaluent l'application du droit dans une situation donnée, entre un plaignant et un défendeur généralement.
Le droit, c'est tout le paquet de lois, décrets, règlements & compagnie, plus les grands principes qui les chapeautent (la constitution notamment), plus les cas précédents où il a fallu trancher des problèmes d'application du droit (la jurisprudence).

Comme c'est un gros foutoir qui va chercher très très loin dans la spécialisation (ce qui laisse bien songeur quant à la possibilité effective de mettre en oeuvre le principe fondamental qu'on a tous lu ou entendu : "nul n'est censé ignorer la loi"), ça fonctionne un peu comme une commode.

Chaque chose à sa place,
de préférence sous clé
Y'a un tiroir pour les chaussettes (le droit pénal), un tiroir pour les caleçons (le droit civil), un pour les sex-toys accessoires (le droit administratif), etc...
Et dans chaque tiroir, y'a des boîtes, et ces espèces de "sous-droit" dérogent au droit parent en apportant des particularités propres à leurs champs d'application spécifiques.

Ca éveille l'intérêt quand on sait que la justice administrative a tendance à trancher en faveur de la continuité d'action de l'appareil administratif, et qu'elle s'appuie à mort sur la jurisprudence des cas similaires à celui qu'elle doit juger.

Evidemment, c'est rédigé dans le sabir spécifique que l'on retrouve sous diverses formes dans les professions à jargon (avocat / médecin / technicien / etc.), mais on s'y retrouve quand même.

Une p'tite cahouète pour
ouvrir l'appétit

Je vous la refais avec mes mots à moi.

Mise en appétit :

- le préfet de l'Essonne a (sur ordre du ministère) attaqué par le passé la première délibération du conseil municipal de Janvry contre l'application de cette réforme ;
- 3 jours avant l'audience, le préfet a laissé tomber (c'était en Novembre 2013) ;



Recette de base

Le gâteau :
- aujourd'hui, toujours téléguidé parce que c'est le job qui veut ça, le préfet remet le couvert, et en référé s'il vous plaît, accusant la mairie de Janvry de n'avoir informé les parents que par un courrier fin Août du maintien des horaires pré-réforme ;
- manque de pot, les avocats rappellent que le préfet a déjà tenté le coup de l'attaque contre Janvry et s'est déballonné ;
- ils signalent que la dernière délibération du conseil municipal, qui acte l'impossibilité (même avec les assouplissements et tout le tintouin) d'appliquer correctement la réforme avec les moyens disponibles, a été prise le 3 juin 2014, et transmise pour contrôle à la préfecture 2 jours après ;
- or la loi prévoit que la préfecture dispose de 2 mois à compter de la date de réception pour statuer sur la légalité : en clair, si le préfet ne dit rien pendant 2 mois, la délibération est entérinée de fait. Et nous sommes en septembre...
- les avocats envoient donc balader le préfet et sa requête mal ciblée (attaquer le courrier aux parents en "oubliant" la délibération du conseil), et en profitent pour signaler que pour l'astreinte de 1000 euros par jour de retard dans l'application de la réforme, faut quand même pas pousser le dromadaire dans les cactus (je traduis, hein !) ;

Recette de base,
plus option
Le fourrage à la crème pâtissière :
- le préfet dit que la délibération entraîne le non-respect de l'accès égal des enfants de Janvry à l'école par rapport aux mômes d'autres villes ;
- les avocats indiquent que, puisque les horaires d'ouverture des écoles prévoient toujours autant d'heures de cours, c'est du flan cet argument ; d'ailleurs, ils précisent que le tribunal de Rouen vient d'affirmer ce principe en déboutant l'état qui attaquait la commune de Ganzeville le 6/09, de même que le tribunal de Toulon vis-à-vis de Montmeyan le 5/09. Pan dans les dents ;


Toutes options
Les p'tits fruits en bonus :
- le préfet dit que la délibération ne respecte pas le décret de la réforme (bah oui, quand même) ;
- les avocats signalent que ledit décret est illégal, car il ne fournit pas les moyens d'appliquer la réforme. Ils rappellent que la loi dit que cette fourniture de moyens s'apprécie au moment de la mise en oeuvre du transfert de responsabilité entre l'Etat et la commune, qui est contrainte par la réforme à mettre en place des activités périscolaires ou de la garderie supplémentaire, de recruter du personnel... Donc, décret illégal au titre de la constitution (article 72-2), et donc on ne peut pas reprocher à une ville de ne pas respecter une disposition d'état qui elle-même s'essuie les pompes sur la constitution et la jurisprudence ;

Série limitée DeLuxe
Le glaçage :

- les avocats rappellent que toutes ces nouvelles dépenses viennent flanquer le dawa dans les budgets des communes. Or (pas de bol), la jurisprudence du Conseil d'Etat sur un cas similaire (Villeurbanne, mai 96) établit que mettre la pagaille dans les finances d'une ville, c'est se moucher avec le même article de la constitution (libre-administration des communes). Donc, décret illégal par ce biais-là aussi ;


Modèle excessif
La cerise sur le McDo :

- les avocats soulignent qu'un décret, ça doit être totalement explicite et ne rien cacher de ses conséquences ("principe constitutionnel de clarté et des objectifs de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la norme", je cite).

Or, le décret Peillon/Hamon oublie joyeusement d'évoquer les transferts de responsabilités, donc n'est pas explicite, donc est illégal une fois de plus par cet axe-là. Paf ;




Modèle ultime :
obscène
mais savoureux
La touche finale :
- le préfet réclame que le tribunal, saisi en référé (une procédure d'urgence), fasse sauter la décision de maintenir les horaires pré-réforme ;
- les avocats signalent qu'en décidant ça, le tribunal outrepasserait son domaine de travail, qui est de prendre des décisions provisoires, pas de faire dans le définitif (car ça, c'est le boulot d'un tribunal saisi normalement, et pas en référé).
Conclusion : si le tribunal suit la demande du préfet, ça donne matière à attaquer le jugement parce qu'irrespectueux du droit.
Et si un tribunal se met à interpréter à sa guise les frontières du terrain sur lequel il influe, il a environ 100% de chances de se faire atomiser par la juridiction supérieure, ce qui fait tâche sur le C.V. du juge qui veut prendre du galon et quitter les prétoires bas de gamme pour les ors et le velours des corps d'élite judiciaires.

Go ahead, make my day
Moi, en lisant tout ça, j'ai bien ricané sous cape.
J'ai compris aujourd'hui (peut-être de travers) que le jugement avait été renvoyé parce que de nouvelles pièces avaient été versées au dossier par les avocats de Janvry (j'imagine que ce sont les jugements de Rouen et Toulouse), et que ça va se juger très bientôt.


Si malgré tout ça le tribunal donne droit aux demandes du préfet de l'Essonne, va falloir qu'il fignole un argumentaire très très très précis, parce que les suites vont être sportives.



M'enfin, tout ça pour quoi, hein... pour régler un problème que Peillon ou Hamon auraient pu dégonfler en 3 minutes s'ils avaient accepté de nous recevoir, en se comportant comme des ministres autonomes et aptes à agir par eux-mêmes, plutôt qu'en la jouant fonceur bourrin sur des rails inamovibles (et en finissant dans le mur).
Najat Vallaud-Belkacem et moi, on a quasiment le même âge, ai-je remarqué. Si cette femme a eu l'occasion de se frotter un peu à la vie (et je pense que c'est le cas, quand on arrive à cet âge), elle a dû développer un peu d'intelligence pratique.


La mécanique de la comprenette
(par Jean-Kévin Da Vinci,
6 ans)
Et partant de là, le constat est fort simple : Peillon s'est banané, Hamon s'est fait sortir, et Najat Vallaud-Belkacem récupère un ministère déglingué avec une réforme de merde dans un pays en crise sous le gouvernement le plus détesté que j'aie vu de ma petite vie.

D'un point de vue purement pratique, qu'est-ce que ça pourrait bien lui coûter d'ouvrir sa porte et ses esgourdes aux opposants à la réforme (mais elle-même, hein, plutôt que d'envoyer des larbins), et de donner enfin dans le pragmatique pour essayer de remettre le navire à flot ?

Pour peu qu'elle le fasse avec sincérité, elle passerait pour une courageuse, une réaliste, une politicienne en pleine possession de ses dossiers. Pas mal, sur un C.V., ça, non ? J'irai pas jusqu'à dire qu'elle me rendrait confiance dans le P.S. --on ne demande pas à un crocodile d'aimer les maroquiniers-- mais ça ferait d'elle en un tournemain la plus sympathique de tous nos gouvernants. Le genre avec lequel on ne s'interdit pas de négocier. Le genre qui a de l'aplomb, de l'envergure, qu'on écoute, parce que sa parole, ce n'est pas que du vent. Par les temps qui courent, c'est très très rare, ça.
Quoi qu'il en soit, la balle est dans le camp de la justice pour l'instant. Mais Najat a le pouvoir de siffler la fin du match, alors qu'attend-elle pour s'en servir ?

--G4rF--

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire